Europe Plus – Friendly Disagreement between the French and English: The Role of Culture in International Affairs

Europe Plus (French Magazine) - April 1st, 2004; Learn more about the Institute for Cultural Diplomacy at www.culturaldiplomacy.org

  April 01st, 2004

French – English: 100 Years of “Friendly Disagreement?

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La Reine Victoria chevauchant une bouteille de Gin – Carte postale de L. Espinasse © www.michaelnelsonbooks.com

L’Entente Cordiale signée le 8 avril 1904 entre Français et Anglais met fin aux querelles des deux puissances coloniales. Le centenaire va être célébré en grande pompe avec le déplacement officiel en France, du 5 au 7 avril, d’Elisabeth II, le quatrième seulement en plus de 50 ans de règne. Français et Anglais peuvent-ils réellement se supporter ?

  • Entretien avec Fabrice Serodes, normalien, spécialiste de l’anglophobie
  • Chronologie d’une guéguerre de 100 ans entre Anglais et Français
  • Mémo sur l’Institut de diplomatie culturelle et son objet
  • Notre sélection de liens Internet pour aller plus loin
  • Le commentaire de l’illustration de l’article

SB : Comment naît l’anglophobie ?

FS : L’anglophobie apparaît sérieusement comme un phénomène politique majeur, depuis la fin du 19ème siècle, sur fond de querelles coloniales. C’est un facteur politique avec lequel les dirigeants doivent composer, et qui oriente toute la diplomatie du premier 20ème siècle. Cependant, les milieux dirigeants français, peu anglophobes en fait et plutôt anglophiles, ont compris qu’ils devaient la contenir, voire la combattre, car il en allait de l’intérêt supérieur de la nation. Il fallait sauver les apparences. L’Entente Cordiale marque, à ce titre, un tournant majeur, car les deux nations comprennent qu’il faut abandonner les vieux antagonismes face au danger militariste. Elle prend une signification politique et culturelle qui dépasse immédiatement l’accord colonial.

L’anglophobie reparaît malgré tout dans les années 1920 à 40, où il suffit d’une petite crise pour la ranimer. Dans les années 30, elle renaît d’autant plus fortement, que nos rapports avec l’Allemagne s’améliorent. C’est toujours une relation à trois. Il faut sortir des approches bilatérales strictes.

La méfiance de l’Anglais remontant à Jeanne d’Arc est donc un mythe ?

C’est surtout que Jeanne d’Arc est un mythe principalement religieux, opposant les Catholiques aux lois de laïcisation de l’époque. Elle est davantage une figure patriotique : ‘bouter les étrangers hors de France’, qu’une figure anti-anglaise. J’ai retrouvé peu de traces de documents laissant voir dans cette histoire de nos deux pays une source d’anglophobie réelle. Quelques réactivations du mythe anglophobe ont pourtant bien existé avec le film sur Jeanne d’Arc que réalisa Méliès par exemple.

Peut-on parler d’une « anglophobie européenne », comment sont perçus les Anglais par nos voisins européens ?

La guerre des Boers fait s’internationaliser le sentiment anglophobe, toujours fin du 19ème et début du 20ème siècle. Avec l’Allemagne, le contentieux est également très lourd. La presse allemande regorge de caricatures sanglantes où Kitchener est campé en boucher. Alors que la presse française propose des caricatures plus obscènes, mais plus intellectualisées. On trouve des ramifications de sentiment anti-anglais en Autriche et aux Pays-Bas. Mais l’Angleterre s’en prend souvent à la France plutôt qu’à l’Allemagne, dans une tactique d’isolement de la France. C’est également le cas tout récent avec la guerre en Irak. L’Angleterre davantage tournée vers l’Allemagne, regarde réellement vers la France à partir de 1902. Et l’Entente Cordiale intervient en 1904. A partir de cette date, ce sont les relations germano-britanniques qui, pour des raisons de rivalité commerciale, se dégradent.

Depuis l’intégration européenne, l’anglophobie européenne a cependant beaucoup baissé, et ne se retrouve plus que dans les champs marginaux du sport ou de la culture. Des tensions subsistent, dues à des différences de mentalité, mais elles ne débouchent plus sur des conflits ouverts, elles sont comme désamorcées, et prêtent à rire.

Les Anglais jouent depuis des années sur un comportement, tantôt “dans l’Europe”, tantôt “hors l’Europe”, souvent eurosceptique… Ces ambigüités sont-elles de nature à alimenter une certaine défiance ?

Le cliché de la perfidie britannique a décidément la vie dure ! Il remonterait au Grand Siècle et à la Révolution ! Si l’on en croit les sondages, les Anglais sont bien eurosceptiques, surtout en ce moment. Il faut cependant distinguer entre les acteurs. D’abord, l’attitude aujourd’hui du cabinet Blair varie beaucoup, et ne reflète pas l’avis de l’ensemble de la population britannique, surtout pendant la crise irakienne, où a eu lieu la plus grande manifestation à Londres depuis la Deuxième Guerre mondiale, sinon europhile, du moins critique de la politique atlantiste du cabinet. Il semble que Tony Blair sente désormais le besoin de donner de nouveaux gages européens, comme en matière de défense. (ndlr : allusion au rapprochement avec l’Allemagne, la France et la Belgique sur une défense européenne distincte de l’Otan).

L’opinion a une attitude différente, souvent indifférente plus qu’hostile à l’Europe. Quand vous séjournez en Angleterre, vous êtes toujours étonné de l’absence de l’Europe. Le Royaume-Uni se conçoit comme à part. Depuis cent ans, le Royaume-Uni n’est pas vraiment sorti de son “splendide isolement”, du moins dans les mentalités. Il y a aussi une opposition eurosceptique, voire europhobe, en particulier chez les conservateurs, et dans la presse de caniveau, mais pas seulement. Les domaines de coopération monétaire ou fiscale sont repoussés aux calendes grecques. D’autres tendances, au Nord de l’Angleterre, en Ecosse sont éventuellement plus favorables. Des militants britanniques défendent un referendum européen…

On semble tout de même assister à la résurgence d’un nationalisme avec des jeunes gens qui, lors de certaines manifestations, brandissent le drapeau anglais plutôt que le britannique !

Il ne faut pas se fier aux signes extérieurs. Les Britanniques ont beaucoup moins de scrupules que nous à exhiber leur drapeau. Ainsi des Spice Girls ou de James Bond. Il ne me semble pas que les Anglais, quant à eux, se replient aujourd’hui pour autant sur un nationalisme étroit. Un certain sentiment de supériorité a cependant toujours existé, mais il s’agit plutôt de particularisme insulaire entretenu. Jusque là, le scrutin majoritaire a empêché la formation d’une extrême droite conséquente. L’ouverture européenne a cependant comme effet de voir resurgir des partis régionalistes comme le Playd Cymru ou le SNP. Le drapeau anglais, la croix de saint Georges, est réservé à des manifestations sportives, qui prennent parfois une tournure franchement nationaliste.

Et pour l’avenir ? La monarchie anglaise survivra-t-elle à Elisabeth II ?

C’est encore la Reine qui incarne encore la nation. Mais le royaume est ébranlé par les scandales et tant de faste a un coût. La monarchie survivra certainement car elle est trop importante pour l’identité britannique, mais elle survivra à titre historique et symbolique. A la différence de la monarchie espagnole, moderne et populaire. Les Britanniques placent leur confiance et leurs aspirations dans la génération suivante. Le prince William fait régulièrement la une des magazines. La monarchie se modernise et ne peut plus se contenter d’incarner la continuité de l’histoire britannique, elle doit aussi manifester les qualités de la modernité.

Fabrice Serodes est normalien, professeur et chercheur à l’Université de Tours. Il est spécialiste des relations franco-britanniques entre 1898 et 1940 et termine une thèse sur les milieux dirigeants face à l’anglophobie.

Chronologie d’une guéguerre de 100 ans entre Anglais et Français :

  • 1898 : Conflit de Fachoda en Afrique noire – dispute de colonialistes
  • 1899-1902 : Guerre des Boers (Afrique du Sud) – recherche de ressources naturelles, or (région du Transvaal), diamants…Violentes campagnes de presse
  • 1930-1935 : Les mouvements conservateurs qui vont ensuite fleurir sous Vichy développement leurs sentiments anglophobes. Point d’orgue en 1935 : L’écrivain, journaliste et pamphlétaire lyonnais Henri Béraud publie Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ?
  • 1940 : Episode de Mers-El-Kébir (Algérie) : la flotte française est bombardée par les Anglais le 3 juillet, qui craignent de la voir récupérée par Hitler. Plus de 1.000 marins sont tués.
  • 1963 et 1967 : Par deux fois, le Général De Gaulle s’oppose à l’entrée des Anglais dans l’Europe, les considérant comme un « cheval de Troie » des Américains.
  • 2003 : Tensions Blair-Chirac sur la guerre en Irak.

Mémo :

L’Institut de Diplomatie Culturelle (ICD) a été fondé à Berlin en 2002 par des étudiants en sciences politiques, des historiens et des diplomates, ce think tank a pour but d’investir le nouveau champ des relations internationales que constitue la diplomatie culturelle. “Depuis peu, en effet, les Etats n’ont plus le monopole de la diplomatie ; de plus en plus d’acteurs du domaine culturels prétendent jouer un rôle. C’est une autre façon de faire de la diplomatie. Le rôle concret de l’ICD dans cette démarche est de les aider en facilitant la rencontre entre diplomates et hommes de cultures par le biais principalement de conférences.”, résume Fabrice Serodes, en charge de la section française. L’ICD dispose d’un bureau à Berlin, Paris, New York et Los Angeles, et développe ses liens vers les pays en développement.

En savoir plus :

Toutes les manifestations autour de la célébration de l’Entente Cordiale

l’Institut de diplomatie culturelle - ICD Quand, où et comment la culture peut jouer un rôle dans les affaires internationales ?

La guerre des Boers se termine en mai 1902.

Commentaire de l’illustration :

La Reine Victoria à cheval sur une bouteille de Gin. Elle a été publiée lors du conflit en 1898 à Fachoda, opposant en Afrique noire les deux puissances coloniales. Un incident grave qui a failli conduire à une véritable guerre entre les deux pays.